Je me sens seul. Seul parmi tous ces gens qui disent. Tous ces gens qui prétendent. Mais ce qu’ils disent est sans rapport avec ce qu’ils font.
Je me sens tellement seul.
Seul parmi tous ces gens qui disent où est le bien, où est le mal, claironnant leurs opinions avec une telle conviction qu'on les croirait validées par une autorité officielle, alors que moi, le doute me ronge autant qu'il me nourrit.
Seul parmi tous ces gens qui disent qu'ils débusquent la vérité d'un premier coup d'œil avec une invraisemblable sagacité, alors que moi, ainsi noyé dans ce flux d’informations chaotiques et permanent, je me sens impuissant d'en tirer la moindre conclusion digne d'être énoncée.
Seul parmi tous ces gens qui considèrent la moindre aventure extra-conjugale comme une monstruosité sans nom tant ils ont érigé la fidélité à l'image d'une statue inoxydable, alors que moi, mes pulsions et mes envies ne s'éteignent pas au monde le temps que mon couple existe et le coup de canif dans le contrat me paraît bien trop facile pour être écarté d'un simple revers de main.
Seul parmi toutes ces personnes qui se disent indifférentes au diktat des apparences, alors que moi, je me coiffe, je me maquille, je choisis ma robe avec soin mais je pleure ma silhouette imparfaite, je me juge sévèrement dans la glace avant de me confronter au monde en rajustant mon soutien-gorge.
Seul parmi tous ces gens qui disent n'avoir que des qualités, mais à demi-mots, pour ne pas paraître arrogant, ajoutant ainsi l'humilité à leur palmarès, alors que moi, je ne suis qu'une montagne de défauts qui se complaît dans le péché, à m'en demander comment les parangons de vertus qui me côtoient tolèrent encore ma compagnie.
Seul parmi tous ces gens qui disent qu'ils agissent en respect d'une évidente sagesse, comme s'ils étaient des prophètes, des philosophes, prophètes ou le renard de la fable, alors que moi, je suis le corbeau honteux et confus, qui n'ose même pas jurer qu'on ne l'y prendrait plus; l’incompétent chronique à suivre les préceptes des grands messagers.
Seul parmi tous ces gens qui disent qu'ils ont gravi leur vie dans une joyeuse sueur, abattant les difficultés avec le fier sourire du vainqueur assoiffé de tant de nouvelles aventures que mille vies n’arriveraient pas à étancher, alors que moi, je ne surmonte les épreuves que pour survivre, par obligation, affublé d’une nouvelle cicatrice à chaque chute, rendant mon sourire toujours plus artificiel.
Seul parmi ces gens qui se disent tout entiers empreints de tolérance, de compassion, comme s'ils avaient tant d'amour à donner qu’ils le dispersent à tout vent, accueillant toutes les différences dans une bienveillante spontanéité, alors que moi, je scrute l'étranger avec méfiance. Selon les cas, je détourne le regard ou j'offre mon plus faux sourire aux clochards, aux vilains et aux éclopés qui ne me déplairait toutefois pas trop de voir disparaître de mon paysage.
Seul parmi tous ces gens qui disent que Dieu les aime et guide leur vie quoiqu'il arrive, chevauchant leur destinée avec panache jusque dans une vie éternelle qui les attend depuis toujours, alors que ma foi a moi a été rabotée par l'observation du monde. Je me sens le jouet d'un mauvais hasard qui m'impose des épreuves insensées dans une vie plus courte qu'une étincelle qui s'éteindra dans l’indifférence globale de l'ordre des choses.
Seul parmi tous ces gens qui disent que le bonheur est simple à cueillir à qui sait le reconnaître, alors que moi, j’ai beau fouiner dans tous les recoins de l’existence à l’aide de longues-vues, de microscopes, je découvre avec toujours plus de netteté qu’un bonheur stable et continu est impossible à atteindre, comme la ligne de l’horizon.
Seul parmi tous ces gens qui disent qu'ils ne commettent jamais de fautes, éternelles victimes qu'ils sont de l'incompétence des autres, de leur mauvaise foi, de leur méchanceté, de leur propension à chercher la dispute, tandis qu’eux-mêmes sont blancs comme neige et juste pavés de bonnes intentions, alors que moi, lorsque je suis acteur, parfois même involontaire, d'un conflit, je me courbe sous le poids d'une culpabilité que je m'assigne à 100 %, avec pour sentence immédiate les remords, la rumination, comme si j'étais l'incarnation du mal.
Seul parmi tous ces gens qui disent n’avoir jamais besoin de reconnaissance, satisfaits qu'ils sont de suivre une existence qu'ils ne dépassent jamais, car ils disent que pour rien au monde ils ne troqueraient leur vie contre celle de ces poupées photoshopées qui jouissent de voir leurs millions d'abonnés se prosterner devant leur cul, alors que moi, j'aimerais tellement qu'on se prosterne devant le mien, de cul ! A défaut de me vautrer dans une opulence obscène, baigné d'applaudissements par les projecteurs, j’assouvis par procuration mes envies de paillettes en m’élançant vers les stars pour mendier un selfie ou un autographe, une poignée de mains ou juste un sourire fugace qui me donnera l’illusion d’exister l’espace d’un instant.
Seul parmi tous ces gens qui disent que ceux qui nous gouvernent sont des incompétents notoires, supposant en filigrane qu'eux-mêmes disposent d'un programme politique de rétablissement du monde, alors que moi, si on me demandait de définir la recette du bonheur commun, je me figerais de stupeur tant cette question me paraît insoluble.
Seul parmi tous ces gens qui disent avoir une conscience écologique, récitant par le détail tous leurs gestes qui vont sans doute sauver la planète alors que moi, mes actions quotidiennes sont si anecdotiques que j’aurais même honte de les lister à haute voix.
Seul parmi tous ces gens qui se disent imperméables à la haine et aux qu'en dira-t-on, répétant jusqu’à la nausée à quel point ils se contrefoutent de la vaine agitation des envieux et des trolls, alors que moi, mais je tremble à l'idée qu'on puisse me fuir ou me rejeter, au point où il m'arrive de bannir mes propres pensées juste parce qu'on pourrait me dire qu'elles sont mauvaises.
Et toi, fais-tu partie des gens au milieu desquels je me sentirais connecté, ou fais-tu partie des gens au milieu desquels je me sentirais encore plus seul ?
00:15 • 1) Doutes et certitudes
00:32 • 2) Acuité, sens du vrai
00:55 • 3) Fidélité sexuelle
01:23 • 4) Regard des autres
01:44 • 5) Vices et vertus
02:07 • 6) Sagesse populaire
02:34 • 7) Épreuves de la vie
03:05 • 8) Ouverture d'esprit
03:42 • 9) Dieu
04:18 • 10) Bonheur simple
04:41 • 11) Sans faute
05:17 • 12) Modestie
06:08 • 13) Politique
06:34 • 14) Ecologie
06:53 • 15) Opinion publique
Auteur du texte et acteur : Michel Defawes (le Black Coach)
Montage : Michel Defawes
Relecture et corrections : “Les coulisses du Black Coach” sur Facebook (remerciements à tous les membres qui ont participé).
Soutien financier : toi, si tu en as envie, c’est ici : https://fr.tipeee.com/black-coach
"Echoes of Times", de Kevin Macleod (https://youtu.be/uRDDOlGlHpk)
“Sea of Doom”, de Doug Maxwell (https://youtu.be/PNYGxRrVZmo)
“Jesu, Joy of Man's Desiring", de Kevin Macleod (https://youtu.be/4yE7uT1EzzA)
“Spine Chilling Cardiac Tension”, de Biz Baz Studio (https://youtu.be/UQqJmSJ6JBI)
Les autres musiques sont de simples effets spéciaux obtenus avec des VST sous FL Studio