Le texte

La naissance, ce quai maternel d’où a démarré le train de ta vie.

Tes parents ne t'y ont pas forcément réservé la meilleure place, mais ils t’accompagnent à leur manière jusqu’à leur propre terminus, l'heure étant venue pour eux de t'abandonner.

Tu hériteras de leurs bagages : un bel héritage.. ou un lourd fardeau.

Tu poursuivras ton périple avec les autres occupants : tes frères, tes sœurs, tes camarades de classe, puis tes collègues de travail, parfois amis intimes, parfois ennemis jurés.

Tu traverses les âges et les paysages dans cette course folle ponctuée de stations pleines de ”Bonjour, faisons connaissance”, mais aussi d'adieux; "Quittons-nous ici”.

Je te connais pas mais l’amour attend peut-être de te rejoindre au prochain arrêt, illuminant l'habitacle en posant sa tête sur ton épaule. Une passion que tu crois éternelle, jusqu’au moment où elle change de wagon, éteignant ta lumière en sortant.

Quand on se dispute face à face, chacun regarde par la fenêtre opposée, deux points de vue différents.

Es-tu assis dans le sens de la marche, craignant ou te réjouissant des nouveaux décors qui s'annoncent, ou regardes-tu en arrière, nostalgique du bon vieux temps qui n'était bon que parce que c'était le tien.

Parfois, l'un ou l'autre de tes compagnons de route te signalera son départ imminent dans une tristesse résignée, trahi par son corps affaibli qui le prive de la santé nécessaire pour continuer le parcours.

Et d’autres disparaissent si soudainement que tu les crois encore assis, là, un peu plus loin, te laissant amèrement regretter d’avoir trop repoussé le moment de t’asseoir à leurs côtés pour partager avec eux une autre tranche de ton voyage.

Plus on s’éloigne de notre point de départ, plus la locomotive accélère, encore et encore, à nous en faire oublier les gares dans lesquelles elle s'arrête pour faire descendre toujours plus de monde.

J’ignore combien de stations je vais pouvoir encore traverser avant que mon titre de transport n'atteigne sa limite de validité.

Je débarquerai alors sur ce quai fatal, et je me retournerai pour voir mon train depuis l’extérieur, croisant ainsi le regard de ceux qui ont partagé ma grande promenade qu’ils s’apprêtent à continuer sans moi.

Quand les portes se refermeront, au son du sifflet de départ et que le train se remettra en mouvement, je chuchoterai doucement en fermant les yeux pour la dernière fois :

“Adieu. C'était un beau voyage, quand-même !”